Le dimanche avec Sia et Siavao aux Samoa
À notre arrivée, son mari sort du lit installé dans la partie ouverte de la maison. Les yeux embrumés et un peu hirsute, il me serre la main en me faisant une bise et me dit son prénom que je ne comprends pas. Les fillettes dorment encore. Il n’est pas 7h.
Je découvre une maison samoane qui n’est peut-être pas typique, mais qui fait partie d’un ensemble où vivent trois générations. Hormis la « cuisine » qui est à part et partagée comme les toilettes et la douche, certaines habitations se réduisent à un fale, plateforme ovale, aérée, couverte d’un toit de palmes ou de tôles où l’on dort, où l’on mange, où l’on entrepose ses biens.
La maison de Sia et Siavao est un mélange de fale et de maison en dur, mais le climat et la culture aidant, on vit surtout dehors et en communauté.
Encore un peu somnolent, Siavao commence à faire frire les poissons que Sia a ramenés du marché et il m’offre un petit déjeuner auquel je me prête par politesse car j’ai du mal à avaler du poisson frit de si bonne heure! Je sens que Sia est attentive à ce que je pourrais vouloir. Je la rassure et je lui dis que je suis venue pour faire des photos de la préparation du repas, mais que je peux aussi donner un coup de main pour les tâches domestiques.
Dans la cour, deux adolescents encore sommeilleux sont occupés à gratter l’écorce des fruits de l’arbre à pain et à râper la chair des noix de coco. Siavao a lancé le feu à l’abri dans le hangar.
Entre en scène le grand-père des ados, le père de Sia. Il sort de son lit installé sur un fale, passe la tête sous le robinet à tout faire et crache l’eau retenue en guise de rince-bouche. Il réajuste son pagne et jette un rapide coup d’œil à l’activité en cours. Sa présence impressionne.
Les jeunes, qui n'ont pas dit un mot depuis mon arrivée, ont intégré de suite le message lancé par le regard du grand-père qui ne se prive pas de donner son avis sur les gestes mal adaptés au travail en cours. C’est du moins ce que je comprends, à la façon qu'il a de leur parler. Le travail avance cependant...
Le grand-père prépara le palusami et guida les jeunes pour dégager les pierres du brasier, pour les séparer du bois et pour enfourner les bread fruit, "le fruit à pain" qui a vraiment tout d'un pain, et le palusami.
Les ordres étaient brefs, précis, appuyés par un doigt pointé sur les emplacements à respecter pour ne pas faire de gestes inutiles. Le ton, sec et ferme. Les deux jeunes s’activaient comme ils pouvaient, transpiraient comme des malheureux, mais ne disaient pas un mot. La tâche n’était pas terminée. L’homme montra du doigt l’emplacement qu’ils avaient occupé pour gratter et râper les écorces et les fruits et sans un mot de plus, les ados ramassèrent les déchets qu’ils amenèrent sur un tas d’immondices.
Les fillettes s’étaient réveillées et pendant que j’étais dans la cour à prendre des photos, je les avais vues, pleines de surprise, apporter à Sia les bouteilles de jus de fruit que j’avais achetées et laissées sur la table. Un plaisir et une gêne me mirent dans la confusion quand Sia me dit qu’ils n’avaient pas les moyens de leur en acheter, juste parfois un petit berlingot de jus à sucer.
J’apprendrai, au cours de la balade que je ferai avec eux autour de l’île Upolu, qu’à l’hôtel où nous nous sommes rencontrées, Sia travaille douze heures la nuit pour 1€ de l’heure (la bouteille d’un litre d’eau coûte 0,73€) et que Siavao part six mois de l’année en Nouvelle-Zélande pour cueillir les pommes, en revenant chaque fois avec les épaules blessées, déchirées et meurtries par les bretelles des cageots qu’il porte pour la récolte des fruits. Tout en conduisant il me montrait ses cicatrices et dans un anglais que je comprenais à peine et que Sia rectifiait systématiquement, j’entendais qu’il ne se plaignait pas malgré le froid inhabituel pour un Samoan, la séparation et les conditions de vie, parce que « c’est bien payé », répétait-il à chaque fin de phrase.
Sia presse un peu les fillettes qui n’arrêtent pas de vider verre après verre les bouteilles de jus de fruit car c’est l’heure d’aller à la messe. Je les accompagne, laissant les hommes à la préparation du repas.
À pied sur le chemin qui mène à l’église et à l’ombre des parapluies qui servent d’ombrelles, des femmes aux chapeaux empesés, aux tuniques claires et aux longues jupes sombres, certaines gantées de dentelles et un livre de prières sous le bras me transportent dans un siècle que je croyais révolu. Un grand champ s’étale devant l’église en bois de la Congregational Christian Church où des fidèles écoutent déjà un sermon du prêtre et il nous faudra attendre qu’il ait fini pour pouvoir entrer.
À la reprise d’un chant puissant qui vient de l’intérieur et qui semble vouloir couvrir celui qui vient d’une église voisine, Sia pousse la porte. Je lui fais signe que je rentre aussi, mais que je reste au fond pour profiter de l’air qui traverse l’espace. Je voulais avoir une vue complète sur le spectacle du siècle révolu. L’église se remplit au fur et à mesure que reprennent les chants jusqu’au moment où je vois entrer Siavao et, solennellement derrière lui, le grand-père suivi de ses deux petits-fils.
Comme tous les hommes endimanchés, ils sont vêtus d’une chemise blanche, d’une cravate verte et du lava-lava, pièce de tissu bleu marine ou noire portée comme une jupe, la marque de leur identité culturelle.
Le livre de prières à la main.
Letogo, île Upolu, Îles Samoa,
18 janvier 2015
Le frère de Sia vit dans ce fale avec sa femme et ses deux enfants.
Rituels du dimanche aux Îles Samoa, Îles Samoa, 2015
L'utilisation du robinet à tout faire dans la cour commune.
Rituels du dimanche aux Îles Samoa, Îles Samoa, 2015
Préparation du feu à l'abri dans le hangar dans la cour, pour chauffer les pierres.
Rituels du dimanche aux Îles Samoa, Îles Samoa, 2015
Le doigt pointé, le grand-père donne des ordres pour organiser le travail autour du feu.
Rituels du dimanche aux Îles Samoa, Îles Samoa, 2015
La porte de l'église est fermée pendant le sermon ; on n'entre que pendant la durée des chants.
Rituels du dimanche aux Îles Samoa, Îles Samoa, 2015
98% des 200 000 Samoans sont chrétiens et répartis en une douzaine d'Églises. Les édifices sont souvent bâtis côte à côte.
Rituels du dimanche aux Îles Samoa, Îles Samoa, 2015